Recherche sur les perturbateurs endocriniens – Sarah Thévenot : « Une mission de santé publique et un impact concret pour les patients »

Sarah Thévenot, maitre de conférences des universités et praticien hospitalier au sein de l’unité d’hygiène hospitalière du CHU de Poitiers
Sarah Thévenot, maitre de conférences des universités et praticien hospitalier au sein de l’unité d’hygiène hospitalière du CHU de Poitiers.

Sarah Thévenot est maitre de conférences des universités et praticien hospitalier au sein de l’unité d’hygiène hospitalière du CHU de Poitiers. Après avoir terminé son internat de pharmacie à Poitiers, elle intègre, en 2004, ce service qui assure la surveillance de l’environnement hospitalier et la prévention des infections associées aux soins. Puis Sarah Thévenot devient maitre de conférences des universités. Elle enseigne l’hygiène et la santé publique. « Parallèlement à cette activité, j’ai ressenti le besoin de développer un projet de recherche qui se rapproche de cette mission de santé publique, avec un impact concret, explique-t-elle. Comme je coopérais déjà sur le sujet des perturbateurs endocriniens avec l’équipe de l’axe Hedex (Health, Endocrine Disruptors, Exposome) conduite par le Pr Virginie Migeot, cheffe du service de santé publique du CHU,  j’ai eu envie de l’intégrer pleinement. »

C’est à travers les soins et l’environnement hospitalier que Sarah Thévenot étudie l’exposition au bisphénol A (BPA), un des perturbateurs endocriniens les plus répandus. Elle cible deux éléments présents dans l’environnement hospitalier susceptibles d’entrainer cette exposition : les dispositifs médicaux et l’eau. « Ces deux éléments se retrouvent en hémodialyse, indique l’enseignante. Peu de publication existe sur ce sujet, mais les rares études publiées montrent que les patients insuffisants rénaux chroniques pris en charge en hémodialyse sont doublement exposés aux perturbateurs endocriniens. D’une part, parce qu’ils éliminent plus difficilement ces molécules habituellement évacuées dans les urines, d’autre part, parce que les dialyseurs utilisés dans le traitement ont été décrits comme contenant du bisphénol A. »

« Mes premiers travaux ont consisté à mesurer les quantités de BPA provenant des dialyseurs, mais également d’autres dispositifs médicaux utilisés en hémodialyse, précise Sarah Thévenot. » Parallèlement, la contamination de l’eau utilisée pour produire le dialysat (liquide ultrapure avec lequel se font les échanges avec le sang du patient dans le dialyseur) a été évaluée. En effet, le dialysat est produit à partir d’eau du robinet, plusieurs fois décrite comme pouvant être contaminé par du BPA et des dérivés chlorés du BPA, eux-mêmes reconnus comme étant 100 fois plus toxique que le BPA.

Mesure de l’impact pour le patient
Une autre technique de dialyse a été déployée au CHU de Poitiers, il s’agit de l’hémodiafiltration en ligne. Elle est associée à un meilleur taux de survie des patients. Elle consiste à réaliser une ultrafiltration sanguine importante d’au moins 20 litres par séance compensée par la réinjection d’un même volume de dialysat. « Ce produit est administré aux dialysés trois fois par semaine. Or, nous venons de démontrer que ce produit est contaminé par le BPA et ses dérivés chlorés, expose la chercheuse. Mon travail est désormais de déterminer quel est l’impact de cette exposition pour le patient. »

Sarah Thévenot mène donc une étude chez les patients dialysés en partenariat avec les praticiens du service de néphrologie du CHU, Marc Bauwens et Mohamed Belmouaz. Les taux de BPA et de ses dérivés chlorés sont mesurés dans des échantillons sanguins prélevés dans le cadre de leur prise en charge, en début et en fin de séance de traitement par hémodialyse conventionnelle ou hémodiafiltration en ligne. L’objectif est de voir si les taux sanguins sont modifiés par une séance de traitement et ce, en fonction de la technique utilisée.

Pour effectuer la mesure de ces si petites molécules dans le sang, il faut utiliser la chromatographie liquide couplée à un  spectromètre de masse en tandem, un outil qui a la particularité de détecter et de quantifier les composés chimiques environnementaux dans l’eau et les fluides biologiques humains à l’état de trace (inférieur au nanogramme). Tout le processus de prélèvement et d’analyse ainsi que la préparation des échantillons s’effectuent avec du matériel et des contenants en verre afin d’éviter toute contamination par le BPA. « En attendant de pouvoir acheter un spectromètre de masse financé grâce aux dons récoltés par le fonds Aliénor, nous utilisons celui du laboratoire de toxicologie », complète Sarah Thévenot. Ces analyses sont réalisées sous le contrôle du Antoine Dupuis et du Nicolas Venisse, pharmaciens au CHU de Poitiers.

Ces travaux de recherche ont été à la base de deux masters 2, d’une thèse de doctorat d’université et, début 2016, d’un article publié dans l’International Journal of Pharmaceutics. Sarah Thévenot prépare actuellement un nouvel article pour une revue de néphrologie. « L’idée est de cibler les pharmaciens et les néphrologues qui choisissent les dispositifs médicaux en hémodialyse de manière à ce qu’ils intègrent le risque d’exposition au bisphénol et à ce qu’ils privilégient les dispositifs sans  BPA. Nous souhaitons aussi pousser les industriels à développer un maximum de matériel sans  bisphénol. Dans la pratique, nous aimerions également que les néphrologues intègrent ce risque dans la prise en charge de leurs patients. »